Il y a près d’un an, alors que j’étais en voyage au Cambodge et que je faisais face à une rupture amoureuse douloureuse, j’ai écrit ces quelques pensées. Dans cette période de confinement, où la souffrance de la solitude est – pour beaucoup – exacerbée, je me permets de vous partager ce témoignage et cette réflexion, qui sont devenus par la suite un chapitre de mon livre.
Depuis mon entrée en classe de 5e – année marquant le début de ma hausse de popularité –, j’ai pris l’habitude de multiplier les histoires « amoureuses ». Ces dernières constituent un passage obligé pour accroître ma reconnaissance sociale – il faut être en couple pour être cool –, et je trouve amusant d’enchaîner des courtes relations – enfantines – avec la gente féminine. Je profite de mes premiers mois au lycée pour poursuivre sur cette dynamique. Avec une nouvelle amie de classe, nous nous lançons le défi de nous mettre chacun en couple, le plus rapidement possible. Nous y parvenons en quelques jours, avant d’abandonner nos relations respectives, avec la même vitesse. Pour nous cela est un jeu, mais je réalise que pour ma petite amie de l’époque, la rupture s’accompagne de larmes et de fortes déceptions.
À mes yeux d’adolescent, « l’amour » n’est pas beaucoup plus qu’un divertissement destiné à agrémenter ma vie d’élève normal.
Les films et les séries télévisées que je regarde s’articulent souvent autour des aventures affectives de jeunes étudiants américains. Cette approche hyper-médiatisée me semble alors être le modèle à suivre pour tout jeune de mon âge, et je le reproduis progressivement, à ma manière. Mes relations se multiplient, notamment après le lancement en France d’une application de dating (aujourd’hui très répandue). Je l’avais découverte en Angleterre. J’avais été séduit par son concept récréatif, et m’amusais à échanger dans un anglais approximatif avec quelques filles : mes « matches ». Cette application permet de « rencontrer » virtuellement des personnes du même âge, situées dans les kilomètres avoisinants. Loin de l’image ringarde des sites de rencontres pour adultes, la plateforme utilise des codes destinés aux adolescents. Le principe consiste à faire défiler des profils, en sélectionnant ceux qui nous plaisent et en écartant les autres.
Au fil du temps, cette application prend de plus en plus de place dans mon quotidien. Lors de mon année en classe de terminale, je l’active et la consulte par réflexe, plusieurs fois par jour, cherchant toujours à faire de nouvelles rencontres. Bien souvent, elles restent virtuelles, au stade de conversations. Mais parfois, il m’arrive d’entamer de vraies relations. Si j’ai reçu une éducation dans laquelle les relations sexuelles sont valorisées – dans le cadre du mariage –, la culture ambiante et mon rapport libéral aux mœurs religieuses lèvent, peu à peu, ce que je perçois comme une contrainte. Je commence à croire qu’avoir un rapport sexuel n’est finalement qu’un acte physique, aussi banal que le simple fait de « faire une partie de tennis » (pour reprendre la rhétorique populaire du film Sexe entre amis).
Toutefois, différentes déceptions et séparations douloureuses que je traverse semblent m’indiquer que la sexualité n’est pas aussi désincarnée que je veux bien le croire, qu’elle influence, en réalité, en profondeur mon être et mes émotions.
À la fin de mes années lycée, je commence à m’inquiéter de quelques rapports non-protégés que j’ai pu avoir. Je réalise un test de dépistage et j’attends les résultats dans un vrai climat d’inquiétude. Je découvre avec beaucoup de soulagement qu’ils sont négatifs. Mais, pour moi, les choses ne peuvent plus continuer à fonctionner de cette manière. En négligeant les conseils bibliques et familiaux, j’ai pris le risque d’attraper une maladie…
Ce constat me conduit à une remise en question : la sexualité est pleine de sens et d’enjeux, et les histoires sans lendemain ne semblent nullement l’honorer.
Je demande pardon à Dieu de m’être éloigné de son projet d’amour – vrai – et je renonce progressivement à mes mauvaises habitudes.
Durant mes années « hors du nid » familial, pendant mes études supérieures, je choisis de vivre pleinement le célibat et d’apprendre à être heureux seul, en tant qu’individu. Quelques mois après, je commence à me lier d’amitié avec une jeune fille chrétienne. C’est la première fois que j’éprouve de vrais sentiments et je suis moi-même étonné de découvrir qu’ils puissent être aussi forts « malgré » le choix de la chasteté que nous avons fait. Nous partageons également des aspirations communes, et je commence à me projeter avec elle dans l’avenir, considérant même le mariage. Finalement, la relation n’aboutit pas. Malgré la déception, je reste convaincu que les projets que Dieu a pour ma vie sont les meilleurs. De nombreux mois après, je renoue avec une petite amie du collège, elle aussi chrétienne. Nous nous rapprochons considérablement, et après plus d’un an de fréquentation, je lui fais ma demande en mariage. Elle y répond favorablement. Nous sommes alors fiancés. Cette étape semble être une évidence, mais la distance liée à un voyage nous fait comprendre que ce projet est précoce et précipité. C’est une nouvelle désillusion.
À l’heure où j’écris ces lignes, je suis donc de nouveau célibataire. Mais, plutôt que de considérer cette étape comme une punition, je prends conscience que cette situation est en réalité une chance que j’ai trop souvent négligée: celle de consolider mon identité et ma relation avec Dieu.
Il me semble si important d’apprendre à être quelqu’un, avant d’être avec quelqu’un !
Notre société est, à bien des égards, paradoxale. D’une part, elle témoigne d’un individualisme exacerbé. Le culte du « soi » règne : « protège-toi », « développe-toi », « prends soin de toi », « pense à toi » sont autant de maximes qui constituent notre credo. Associé à la « libération sexuelle » du siècle dernier, l’individualisme a conduit à une sexualité affranchie des mœurs traditionnelles, cultivant désormais la suprématie du plaisir personnel sans contrainte et engagement. Nous pourrions ainsi penser que l’aspiration à trouver l’amour « sentimental » serait naturellement révolue. Et pourtant, jamais les émotions et les sentiments n’ont été aussi présents dans notre quotidien, à en croire les productions culturelles ou les discussions entre amis. La sexologue Thérèse Hargot explique cet apparent contre-sens dans son ouvrage Une jeunesse sexuellement libérée (ou presque) :
« La pornographie ayant vidé la sexualité de son sens en la réduisant à un rapport génital et mécanique, ce sont dorénavant les sentiments qui donnent leurs valeurs aux gestes. C’est le principe du balancier : la banalisation du sexe augmente le poids des sentiments . »
Ainsi, la sexualité banalisée et la toute-puissance des sentiments aboutissent au consumérisme relationnel, fléau qui touche particulièrement ma génération. Les relations affectives se multiplient, mais s’appauvrissent considérablement en qualité et longévité. L’autre devient un objet que l’on recherche dans un catalogue informatisé et que l’on trie sur le volet : « j’aime », « je n’aime pas ». Je réalise l’état de ma propre condition en écoutant le Rabbin Abraham Twerski.
Dans cette vidéo, il relate le dialogue suivant :
« Jeune homme, pourquoi manges-tu ce poisson? demande un rabbin. Parce que j’aime le poisson ! répond le jeune homme. — Oh, rétorque le rabbin. Tu aimes le poisson. C’est pour cela que tu l’as sorti de l’eau, que tu l’as tué et que tu l’as bouilli ? Ne me dis pas que tu aimes le poisson. Tu t’aimes toi-même, et parce que tu apprécies le goût du poisson, tu l’as sorti de l’eau, tu l’as tué et tu l’as bouilli. »
Abraham Twerski conclut avec clairvoyance :
« Tant de ce que nous appelons “amour” est en réalité de “l’amour du poisson”. […] Chacun regarde à ses propres besoins. Ce n’est pas de l’amour pour l’autre. L’autre devient juste un prétexte pour sa propre satisfaction. […] Le véritable amour n’est pas à propos de ce que tu obtiens, mais à propos de ce que tu donnes. »
Comme ma vie affective a été marquée par cet « amour du poisson » ! Je faisais des relations une source de plaisir personnel, censée donner du sens, de l’aspérité et de la consistance à ma vie. Je cherchais en l’autre ce que seul Dieu pouvait me donner. La Bible appelle cela une « idole ». Il ne s’agit pas nécessairement d’une chose mauvaise en soi, mais d’une chose que nous plaçons au-dessus de Dieu, et qui ainsi devient désordonnée, mauvaise, toxique. Et comme toute idole, l’anthropologue Ernest Becker nous rappelle, dans The Denial of Death, qu’elle est vouée à ne pas remplir sa mission :
« Une grande partie de la frustration de l’Homme moderne vient du fait qu’il cherche une solution à ses problèmes dans les relations amoureuses. […] Aucune relation humaine ne peut porter le poids de la divinité. […] Nous voulons être quittes de nos fautes, de cette sensation de vide. Nous cherchons à nous justifier, nous voulons être sûrs que notre existence n’a pas été vaine. Nous voulons la rédemption – rien de moins. Il va sans dire qu’un partenaire humain n’a pas le pouvoir de nous la donner. »
Dans nos sociétés sécularisées, nous attendons de l’affectivité et de la sexualité une transcendance et un sens que nous trouvions autrefois dans la religion, en Dieu. Le danger qui nous guette inévitablement est celui d’être déçu, de façon drastique. Comme le dit Becker, nos attentes sont trop élevées : étouffantes pour notre partenaire et destructrices pour nous. Nombreux sont mes amis, hommes et femmes, qui ont vécu une dépression, consulté des psychologues et thérapeutes, et envisagé le suicide à la suite d’une séparation douloureuse. Ils avaient fait de leur amant, leur absolu, et le perdre signifiait perdre le sens de leur existence. Une identité et une destinée construites sur de telles fondations sont incertaines et dangereuses. Nous en oublions d’exister et de nous construire dans notre individualité.
Cette tendance n’est malheureusement pas étrangère au milieu religieux : le mariage y a souvent été idolâtré. Inconsciemment, nous sommes devenus partie prenante de cette quête incessante : « trouver la bonne personne ». Et, sans scrupule, nous déposons un fardeau sur l’autre, lui imposant d’être celle ou celui que nous idéalisons. Parfois, nous nous conditionnons dans des attentes exagérées, et avançons dans la vie en ignorant quelqu’un de formidable – quoiqu’imparfait – tout près de nous. J’apprécie le regard de Jefferson Bethke, un youtubeur américain :
« Dans les relations amoureuses, l’enjeu n’est pas de trouver “la bonne personne”, mais plutôt de se préparer à être soi-même la bonne personne pour l’autre. »
Mon actuelle période de célibat me rappelle que le meilleur cadeau que je puisse faire à ma future femme, c’est de consolider mon identité : celle de fils de Dieu. Pour aimer d’une façon saine et ordonnée, je dois apprendre à être aimé. Aimé par celui qui est Amour.
À son image, aspirons ensemble à nous donner – de manière désintéressée – pour notre prochain. Car, comme nous le rappelle l’apôtre Paul :
« L’amour est patient, il est plein de bonté. L’amour n’est pas envieux, l’amour ne se vante pas, il ne s’enfle pas d’orgueil, il ne fait rien de malhonnête, il ne cherche pas son propre intérêt, il ne s’irrite pas, il ne soupçonne pas le mal. Il ne se réjouit pas de l’injustice, mais il se réjouit de la vérité. Il pardonne tout, il croit tout, il espère tout, il supporte tout . »
Pour en savoir plus sur mon livre :
Disponible sur PremierePartie.com.