Dans Don’t Look Up – le dernier film qui cartonne sur Netflix – une météorite menace d’anéantir l’humanité dans un délai de six mois. Cette découverte scientifique suscite tantôt de l’indifférence, tantôt de l’anxiété.
Débuter l’année 2022 par le visionnage de cette puissante satire de notre propre déni climatique et écologique a déclenché en moi le désir de proposer une entame de réflexion sur ce qui est souvent décrit comme « le plus grand défi de l’histoire de l’humanité ».
Où en sommes-nous ?
Au juste, de quoi est-il question lorsque nous entendons parler « d’urgence écologique » ? Sans rentrer dans le détail scientifique, dont ma maitrise est limitée, le rapport publié en août dernier par le GIEC – un groupe d’experts renommés sur le climat – nous éclaire et nous alerte quant à la possibilité que le réchauffement planétaire, causé par les activités humaines, excède (largement) 1,5°C au cours des prochaines décennies[1]. Loin d’être une bonne nouvelle nous annonçant des hivers légèrement plus agréables, cette hausse des températures se ferait ressentir de manière nettement plus prononcée sur les « terres émergées », les continents où nous vivons[2].
Cette hausse entrainerait également une série de conséquences désastreuses.
La climatologue chrétienne Katharine Hayhoe parle d’un « global weirding »[3], c’est-à-dire non pas d’un simple réchauffement, mais d’une « bizarification » globale de notre écosystème,
dont on perçoit déjà les premiers signes : des inondations plus intenses, des canicules à répétition, des incendies plus fréquents et répandus, un accès à l’eau potable plus difficile, des rendements agricoles diminués, une perte colossale de la biodiversité…
Il ne s’agit pas « juste » de dommages sur ce que nous appelons communément « la nature », mais d’un danger qui guette également notre humanité.
La raréfaction des ressources, entre autres, entrainerait un accroissement significatif du risque de conflits meurtriers dans le monde[4], mais aussi un « boom » des réfugiés climatiques : la Banque mondiale estime à ce sujet que, d’ici 2050, le changement climatique risque de contraindre 216 millions de personnes à migrer, en quête de moyens de subsistance[5].
Quel rapport avec la foi et Dieu ?
A priori, on pourrait se dire que cela ne doit pas nous préoccuper si l’on croit que Dieu tient « le monde entier dans ses mains ». Si je suis profondément convaincu par la toute-puissance de mon Créateur, et par la solidité de mon avenir en lui, je crois que nous aurions tort, si nous sommes croyants, de nous désintéresser des préoccupations écologiques, et ce, pour deux raisons notamment. La première que j’ai déjà eu l’occasion d’aborder dans mon livre est la suivante :
Nous ne pouvons pas « aimer notre prochain comme nous-mêmes » comme nous le demande Jésus, sans nous soucier du monde dans lequel nous allons évoluer.
Je dis « nous » puisqu’il n’est plus juste question de l’avenir d’états insulaires ou faiblement développés – même s’il est vrai qu’ils sont en première ligne –, mais de phénomènes inédits qui menacent et menaceront également les pays dits « riches », dont celui dans lequel j’habite.
La seconde raison, qui me semble tout aussi importante, est que Dieu, dans le récit de la Genèse, confie à l’être humain un mandat d’intendance de la création, c’est-à-dire la mission de cultiver et de garder le « jardin », son environnement de vie[6]. Ce qu’il est important de souligner ici, c’est que l’humanité est chargée de prendre soin de la création, mais qu’elle n’en est pas pour autant propriétaire – seul Dieu l’est.
Ainsi, si Dieu fait de nous des gestionnaires de ce qu’il a créé, il sera en mesure de nous demander de rendre des comptes de notre gestion.
Dans ce cas, il me semble que nous pouvons parler de « péché écologique » chaque fois que nous manquons à notre devoir de protection, chaque fois que nous détruisons plutôt que nous cultivons, chaque fois que nous détournons la tête par indifférence… moi le premier ! C’est bel et bien de notre « sanctification » qu’il est ici question.
Que faire à notre échelle ?
Face aux constats scientifiques alarmants quant à l’état de notre planète, on peut facilement, ou bien se démobiliser face à l’ampleur du défi, ou bien se sentir investi de la mission de « sauver la planète ». Je souhaiterais proposer le début d’une autre voie qui me semble plus juste au regard de la foi chrétienne qui m’anime. Dans un article[7], Bruno Latour, l’un des intellectuels français les plus prolifiques de notre temps, adressait une critique franche de l’exhortation de l’apôtre Paul à rechercher « les réalités d’en haut »[8]. Pour le philosophe et sociologue, regarder aux réalités « célestes », éternelles, reviendrait à vivre hors sol, dans un déni des problématiques terrestres. Or, ce qui m’a profondément interpellé dans le film Don’t Look Up, c’est que le propos est inversé :
Face à cette météorite mortelle qui se profile à l’horizon, le déni vient des partisans du “Don’t look up” (en français : « Ne regardez pas en haut ! »), tandis que la lucidité appartient à celles et ceux qui osent regarder la réalité du ciel en face.
Chose également intéressante dans ce film : regarder en haut vient redéfinir la manière de voir la vie ici-bas. Ainsi, face à l’imminence de la menace (spoiler alert), le docteur Randall Mindy revient à sa femme qu’il avait quittée, à sa famille et à ses amis ; les protagonistes se retrouvent dans la gratitude, en remettant leur destin à Dieu, dans la prière.
Conscient des limites de la métaphore, je crois que nous pouvons néanmoins trouver là une vérité tout à fait biblique :
Regarder en haut, à Dieu, nous permet de mieux appréhender notre vie et notre rôle, ici-bas. Il ne s’agit pas de « s’échapper » dans le spirituel, ou de refuser toute forme d’actions et de militantisme, mais de réajuster notre manière d’agir pour le faire dans la liberté, l’obéissance à Dieu, en pleine connaissance de nos limites, et sans fausse culpabilité.
Comme le dit si bien mon ami Édouard Vandeventer :
« En devenant l’ami de Dieu, nous sommes libérés du déni ou des faux espoirs. Par son Esprit, nous pouvons agir comme Jésus, sans peur, sans haine, sans violence. […] Libérés de nos manquements écologiques par une rencontre avec Jésus, notre action peut désormais être une expression de cette liberté, qui nous permet de vivre (enfin !) en harmonie avec la nature[9]. »
Alors, sans plus attendre, changeons notre regard pour voir la réalité telle qu’elle est, avec humilité et lucidité, mais aussi au prisme de l’espérance d’une rédemption parfaite, en Christ. Tel me semble être le commencement d’un changement. Et face à nos (éco)anxiétés, souvenons-nous de ces paroles réconfortantes du psalmiste qui résonnent particulièrement avec notre temps :
« Je lève les yeux […] : d’où le secours me viendra-t-il ? Mon secours vient de l’Éternel qui a fait le ciel et la terre. Il te gardera des faux pas, celui qui te protège ne sommeillera pas[10]… »
Nota bene :
Je propose dans l’article qui précède une pensée telle une brèche qui s’ouvre, et non une réflexion aboutie. Il y aurait tant d’autres choses à dire – aussi bien sur les actions possibles, que sur l’enseignement biblique et théologique. Mon souhait à ce stade est d’inaugurer une envie de creuser davantage le sujet, au travers des multiples ressources qui s’y intéressent déjà, et de d’autres à venir.
Bonus : « À quoi bon faire des efforts si, comme le dit la Bible, la création actuelle était détruite pour faire place à une nouvelle création ? »
Voilà la question qui m’a été le plus posée suite à un petit sondage réalisé sur Instagram. Cette question est tout à fait légitime, et je souhaiterais proposer une piste de réponse. La question du sort de la création au moment de la fin du monde (ou d’un monde) ne fait pas l’objet d’un consensus théologique. Alors qu’en effet, certains plaident pour l’hypothèse d’un anéantissement total qui ferait place à un ciel et une terre radicalement nouveaux, d’autres théologiens plaident plutôt pour une transformation au cours de laquelle une « transfiguration » ferait passer l’état du monde présent, périssable, en une création renouvelée, recréée, quant à elle impérissable. Selon la première hypothèse – celle de l’anéantissement –, on pourrait s’éviter « l’embarras » de l’écologie, considérant que de toute façon, « c’est foutu ». Et pourtant, le théologien Émile Nicole pose une question pertinente à chaque personne qui souscrirait à cette hypothèse : « Qui s’abstiendra de manger ou de soigner son corps sous prétexte qu’il mourra un jour et qu’il a l’espérance de la vie éternelle ?[11] » Ainsi, tout comme nous prenons soin de notre corps périssable, nous sommes amenés à prendre soin de la « maison commune » que Dieu nous donne ici et maintenant.
Sources :
[1] https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2021/08/IPCC_WGI-AR6-Press-Release_fr.pdf
[2] https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/2/2019/09/SR15_Summary_Volume_french.pdf
[3] https://www.youtube.com/channel/UCi6RkdaEqgRVKi3AzidF4ow
[6] Ancien Testament, livre de la Genèse, chapitre 2, verset 15.
[7] https://www.cairn.info/revue-recherches-de-science-religieuse-2019-4-page-601.htm
[8] Nouveau Testament, épitre aux Colossiens, chapitre 3, verset 1.
[9] https://www.imagodei.fr/comment-vivre-dans-un-monde-qui-seffondre/
[10] Ancien Testament, livre des Psaumes, chapitre 121, versets 1-3.
[11] « Les fondements d’un comportement écologique chrétien », Fac-Réflexion, 1990.