Je ne surprendrai personne en disant que nous passons par une période où le fanatisme, aussi bien religieux que politique, semble gagner du terrain. Il anime d’ailleurs de manière omniprésente le paysage médiatique actuel. Terrorisme, montée des extrêmes, replis identitaires, comportements discriminants pour motifs ethniques, religieux ou encore sexuels composent l’actualité de nos derniers mois.
État des lieux du fanatisme
En tant que chrétien, c’est avec beaucoup de regrets que je dois admettre que les comportements fanatiques nous touchent également. C’est peut-être ce qui dissuade le plus d’adhérer au christianisme. Le théologien Timothy Keller explique dans son livre La raison est pour Dieu que les mentalités d’aujourd’hui définissent les chrétiens selon un spectre. Ce dernier opposerait les chrétiens dits « nominalistes », de nom, et les « fanatiques », pratiquant de manière exagérée leur religion. Seulement cette conception des choses est trompeuse. En effet, le christianisme se démarque par le salut obtenu par le seul moyen de la grâce et non pas par des actions réalisées. Cela résonne alors comme un appel puissant à l’humilité. L’auteur conclut de manière brillante :
« Les fanatiques ne sont pas par conséquent des gens qui suivent l’Évangile de trop près ; ils en sont au contraire trop éloignés. Pensez aux gens que vous jugez fanatiques. Ils sont autoritaires, satisfaits d’eux-mêmes ; ils ont des opinions très arrêtées, sont insensibles et durs. Pourquoi ? Ce n’est pas parce qu’ils sont trop chrétiens, mais parce qu’ils ne le sont pas assez. »
Nous devons alors comprendre que ceux qui paraissent terriblement fanatiques sont en fait, des personnes dévouées trop faiblement au Christ et à son Évangile.
Les racines à l’heure du repli identitaire
Le choix d’intégrer le mot « radicalisme » dans le titre de cet article n’est pas innocent. Le mot « radical » en lui-même signifie « racine ». Du latin « radix », il se rapporte à l’idée d’aller à la racine des choses. Je ne te surprendrai pas non plus en disant que l’idée de « retour à nos racines judéo-chrétiennes » est souvent manipulée pour défendre un certain repli identitaire dans un monde qui se globalise. Dans l’édito du Monde des Religions, je lisais hier une réponse intéressante à la situation actuelle :
« À l’heure où les racines chrétiennes de la France sont invoquées telle une litanie, il n’est pas inutile de rappeler que le christianisme lui-même est né d’un métissage culturel, celui de la religion juive et de la pensée grecque (…) Ce qui montre bien qu’être fidèle à ses racines, ce n’est pas chercher à les figer à tout prix — auquel cas le message de Jésus n’aurait jamais donné naissance à une nouvelle religion — mais s’attacher à les vivifier et à les faire fructifier. »
J’ajouterai en disant que le retour à la racine des choses est porteur de sens, non pas pour justifier et légitimer un certain fanatisme, mais au contraire pour le contre-attaquer.
« Le radicalisme tel que je l’aime »
Plongeons-nous maintenant dans un passage d’Esaïe, un livre de l’Ancien Testament. Nous sommes dans le contexte d’un peuple vivant dans un pays qui est en grande partie dévasté, détruit. C’est un pays où règne la corruption et de grandes inégalités sociales. Nous lisons une réflexion menée sur la question du jeûne (terme qui définit habituellement une privation de nourriture pour motif religieux) :
« Le jeûne tel que je l’aime, le voici, vous le savez bien : c’est libérer les hommes injustement enchaînés, c’est les délivrer des contraintes qui pèsent sur eux, c’est rendre la liberté à ceux qui sont opprimés, bref, c’est supprimer tout ce qui les tient esclaves. C’est partager ton pain avec celui qui a faim, c’est ouvrir ta maison aux pauvres et aux déracinés, fournir un vêtement à ceux qui n’en ont pas, ne pas te détourner de celui qui est ton frère. »
Dans ce chapitre 58, l’auteur dénonce le fait que les actes de piété et la pratique religieuse, autrement dit ce qui pourrait être vu comme du radicalisme, ne valent rien s’ils ne vont pas de pair avec un engagement pour la justice sociale. Il va même plus loin en redéfinissant le véritable jeûne, et intrinsèquement la forme de « radicalisme » à laquelle Dieu prend plaisir.
Oui, nous sommes appelés à être des radicaux, mais des radicaux conduits par l’amour de celui qui diffère de nous, par la soif de défendre l’opprimé, par l’horreur de l’injustice sociale, par la folle envie de rétablir la paix dans les conflits ou encore par la volonté d’accueillir le réfugié !
Le changement commence par nous
À l’heure où le fanatisme fait rage, il est important de se remémorer le véritable « combat » que Jésus et la Bible nous appellent à mener. Un combat non pas motivé par la haine, le sang, le pouvoir et l’argent, mais par l’engagement à vouloir défendre et affranchir l’opprimé, aider le nécessiteux et accueillir l’étranger.
Les extrémistes de toute époque ont perverti le meilleur de nos traditions, mais nous avons la possibilité d’incarner cette génération qui arrête de critiquer l’Église et qui devient l’Église qu’elle rêve d’être.
Dans des temps stratégiques et historiques comme ceux que nous vivons actuellement, il est également de notre devoir, en tant que chrétiens, de prier ensemble pour nos représentants politiques. Prier, non pas parce que nous approuvons leurs positions, mais parce que leurs inqualifications morales le révèlent souvent nécessaire !